Lettre ouverte à Mr. Louis Carl St-Jean

J’ai lu, comme beacoup d’entre vous, la lettre ouverte de Mr. Louis Carl St-Jean à Mr. Michel Soukar concernant l’histoire du Konpa. Celle-ci, d’ailleurs ne m’a jamais intéressé et les explications fournies par Nemours Jean-Baptiste durant une entrevue que j’ai pu écouter sur l’émission “Moment Créole” de Fritz Martial à New-York dans les années 80 n’ont fait aucun sens.

Vers la fin de sa lettre, Mr. St-Jean a écrit ce qui suit:
“La prochaine fois, je prêterai une meilleure attention au rara. En partant, je dois vous dire que je suis contre cette affaire de ” rara moderne”. On ne peut pas ” moderniser” la rara. Je crois que vous avez parlé de ” de mettre le rara dans un niveau plus élevé”. Allons donc! Je pense plutot que nous devons travailler pour redonner à notre rara ses vraies couleurs. Dix ans de cela, j’ai travaillé sur le projet de Lomax avec l’ethnomusicologue americain Gage Averill. J’ai écouté des morceaux que jouaient des bandes de rara de Léogâne, de Carrefour Dufort, de Kenscoff, de la Croix-des-Bouquets qu’Alan Lomax avait enregistrés en 1937.
Dans le rara, sujet sur lequel je m’entretiens souvent avec Dr Webner Rousseau, originaire de Léogâne, il n’y a ni saxophone ni la trompette. C’est du bon ” vaksinn”, du bon ” chalmay”… J’ai peur de la modernisation de l’art, surtout de l’art haitien. Haiti est un pays unique, né de facon unique. Haiti est une terre sacrée. Notre pays se trouve dans cet état alarmant parce que, en grande partie, nous l’avons désacralisé. Retournons aux anciens sentiers.”

Je ne partage nullement ses opinions concernant la modernisation de la musique haïtienne et j’ai décidé de lui écrire cette lettre ouvere:

Mr. St-Jean,

Je viens de lire avec beaucoup d’intérêt la lettre que vous avez adressée à Mr. Michel Soukar concernant le « compas direct » un rythme qui n’est pas boiteux, mais qu’on aurait dû corriger et « agencer. » J’affiche immédiatement mon propre agencement du « compas direct » en montrant d’abord

a) Comment on le joue maintenant 

  1. Dans la musique vodou, on utilise 3 tambours : le « manman, » le « segon, » et le « kata ou marengwen ». Dans l’instrumentation de nos groupes musicaux, on n’utilise que 2 tambours, généralement accordés sur la note « la » (basse fréquence) et la note « do » (une fréquence plus haute.)  Mais, comme vous pouvez le voir sur cette partition, le compas est joué uniquement sur le tambour à basse fréquence, le second tambour d haute fréquence est utilisé pour insérer d’autres variations de ce rythme et elles diffèrent selon le percussionniste et l’atmosphère de la musique qu’on est en train de jouer.
  2. On peut remarquer aussi que le « Compas » commence « off the 4th beat » ou encore une syncope de 3 double-croches au 4ème temps. En d’autres mots, le rythme « compas » est joué sur 2 mesures. Si apparemment cela ne présente aucun inconvénient pour nos arrangeurs et nos compositeurs, je me demande cependant s’ils sont conscients de ce fait car je sais que le « Compas, » faute justement de connaissances et d’une approche analytique de la part de nos musiciens a beaucoup souffert d’un grand manque d’évolution. (Mr. St-Jean, je vous prierai de retenir le mot « évolution.)
  3. Quand il s’agit de la batterie, laquelle comprend : kick (grosse caisse), snare (petite caisse), floor tom, low tom, high tom, cymbales (habituellement 3) et les high hats (vous m’excusez, je me sens beaucoup plus confortable avec la terminologie en anglais pour la musique), dans le « compas, » ils n’utilisent qu’une cymbale d’une façon fermée et ouverte. Pour le son fermé des cymbales, le batteur doit utiliser ces deux mains : l’une pour la baguette, et l’autre sur la cymbale. Ce qui justifie l’inutilisation de la petite caisse dans la conception du rythme. Toutefois, dans cette partition ci-dessus je n’utilise que les high hats. La petite caisse n’est insérée que dans les « rolls » (roulements) et le « floor tom » a été simplement enlevé de la batterie pour s’associer au « gong. »

b) Comment moi, Gifrants, j’agence le « Compas »

Le second tambour et la petite caisse font partie du rythme et j’utilise les high hats au lieu de la cymbale.

Ce qui m’amène au point que je veux vous prouver, Mr. St. Jean. La musique haïtienne, comme toutes sciences, doit évoluer et il incombe aux musiciens compétents de factualiser sa modernisation. L’intégration d’un instrument dans un genre de musique peut démontrer son évolution sans prouver sa modernisation. Example bien simple : le synthétizer joue un rôle bien précis dans la musique occidentale pas seulement par la multiplicité de ses sons, mais surtout par l’atmosphère et l’ambiance qu’il crée dans une chanson et son immense potentiel de reproduire les sons de certains instruments à vent et à cordes.  Bien qu’il soit le chouchou de nos groupes musicaux, il ne fait que remplacer l’orgue. Peu d’attention ou aucune n’est portée à l’atmosphère et à l’ambiance de la musique même dans l’utilisation des sons. L’arrangement même dans la grande partie du répertoire de nos groupes musicaux ne tient pas compte de l’importance de l’octave dans leur section rythmique—guitares et piano jouent assez souvent dans la même octave. Ce qui n’est pas assez souvent recommandé pour la « clarté » des fréquences et une musique bien « aérée ou dégagée. » Moi aussi, j’ai constaté que l’introduction des trompettes, des saxophones, du tuba dans le « rara » n’a nullement démontré sa modernisation, sinon qu’une simple une évolution maladroite à cause de l’ignorance voulue manifestée par de nombreux musiciens Haïtiens formés maintenant par des étrangers. Ces derniers n’enseignent pas la musique haïtienne aux Haïtiens. Ils ne font que leur apporter des connaissances pédagogiques à partir des propres conventions de la musique occidentale en accélérant ainsi le phénomène d’acculturation dans notre pays. Faute d’une étude sérieuse de la musique haïtienne, la majorité de nos musiciens actuels n’achèvent qu’une fusion mal balancée loin de notre vraie sensibilité car la musique des vrais détenteurs de notre âme collective n’est pas écoutée, étudiée et enseignée judicieusement.

Toutefois, cela ne doit nullement justifier votre crainte de la modernisation de notre musique car moi, Gifrants, j’ose dire que je l’ai réalisée. Je ne le dis pas par vantardise car j’ai consacré ma vie à le faire et mes œuvres demeurent et demeureront pour de nombreuses futures générations des preuves palpables. Le concept « natif » codifié en partie sur mon site suggère des progressions qui soient authentiques à notre musique. J’ai pu innover dans la musique classique dans la formulation du genre « Sètfwasèt, » et ceci ne concerne pas seulement la musique classique haïtienne—une musique qui est bitonale et polytonale, frôlant l’atonalité en même temps.  De la musique « siwèl », « rasin, » populaire, classique au genre « natif, » cette modernisation de la musique haïtienne existe déjà. Mais, peut-on vraiment l’apprécier et l’accepter si cette dichotomie entre la tradition et le progrès continue à bafouer l’esprit de ceux qui se croient vraiment des « natifnatal » en s’accrochant aveuglément au passé d’une Haïti chérie qu’on ne reconnaît plus à vrai dire.  Il ne suffit pas seulement de retourner aux sources. Il demeure impératif de le faire avec une vision claire du futur avec une révision attentive, calculée et judicieuse de l’haïtianisme car le citoyen Haïtien d’hier même sur le sol natal n’est pas le citoyen Haïtien d’aujourd’hui. Que dire alors de ceux qui se considèrent toujours de bons et vrais Haïtiens en caressant amèrement une nostalgie incurable sur des terres lointaines ?

En dernier lieu, permettez-moi d’insérer le lien à ces deux vidéos comme des références valables de la modernisation de notre musique :

Bien que la fusion ne soit pas mauvaise en elle-même, la modernisation de
notre musique requiert l’insertion inévitable de ses éléments endémiques, une
expression et affirmation authentiques de notre sensibilité sans négliger le
potentiel de notre créativité pour découvrir de nouveaux horizons.

Gifrants.

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